Cent mille euros : c'est la somme demandée en réparation, mercredi 24 juin devant le TGI de Nanterre, par Carrefour, à l'un des anciens vigiles de son magasin Bercy 2 (Val-de-Marne). Ce dernier avait mis en cause, dans la presse, le comportement de l'enseigne après son dépôt de plainte pour injure raciste contre un client qui n'était autre qu'un cadre du ministère de l'immigration.
L'affaire remonte au 26 avril 2008. Agent de sécurité, Pierre-Damien Kitenge se voit demander par une caissière de vérifier les papiers d'identité d'un client souhaitant payer par chèque. Une vérification d'usage pour tout montant supérieur à 250 euros. Selon le vigile, le client, Gautier Béranger, directeur de cabinet du secrétaire général du ministère de l'immigration, se serait prévalu de sa fonction et lui aurait lancé : "Monsieur, je vous connais, vous êtes sans papiers. (...) Sale Noir. Vous ne savez pas qui je suis. Vous pouvez mettre une croix sur votre carrière."
Le jour même, "choqué", Pierre Damien Kitenge décide de déposer une plainte. "Le directeur du magasin tente d'étouffer l'affaire, relate son avocat, Patrick Klugman. Il téléphone à Gautier Béranger pour lui présenter ses excuses et demande à M. Kitenge de retirer sa plainte." En vain. Celui-ci voit alors sa charge de travail diminuer et ses collègues ne lui adressent plus la parole. SOS-Racisme se saisit de l'affaire et porte plainte contre X... pour subornation de témoins. L'association "s'étonne de l'atmosphère pour le moins pesante qui a conduit à ce que, dans un des plus grands supermarchés de France, personne n'ait rien vu ni entendu".
Le 22 juillet, la justice classe les deux plaintes sans suite. Peu après, M. Kitenge, père de famille qui a, entre-temps, perdu son emploi, est poursuivi en diffamation par Carrefour pour des propos tenus dans le mensuel Entrevue. "Carrefour fait pression sur les salariés pour que personne ne témoigne", indique le vigile dans cet entretien. Le directeur de l'établissement, ajoute-t-il, "m'a garanti que j'aurais un emploi stable si je retirais ma plainte. J'ai reçu trois appels insultants. C'étaient des menaces qui me demandaient de retirer ma plainte".
"Carrefour est une société qui a signé depuis de nombreuses années la Charte de la diversité et qui est considérée comme une entreprise citoyenne en la matière. Voir que son nom est lié à des faits de subornation de témoins pour dissimuler des propos racistes et prendre la défense d'un collaborateur du ministère de l'immigration... c'est simplement insupportable !", a soutenu, lors de l'audience mercredi, Emmanuel Daoud, avocat de la multinationale. Celui-ci a qualifié de "somme relativement ridicule" les 100 000 euros demandés par Carrefour. "Ce n'est rien", a-t-il insisté, soulignant que "la marque Carrefour vaut plus de 6 milliards d'euros".
"La plus grave atteinte pour Carrefour provient de cette procédure (engagée contre Pierre-Damien Kitenge) et non des propos poursuivis", a fait valoir pour sa part Me Klugman. La société éditrice et le directeur de publication d'Entrevue, également poursuivis par Carrefour, n'étaient ni présents ni représentés à l'audience. Le cadre du ministère de l'immigration non plus. Il était pourtant appelé à comparaître.
Le jugement sera rendu le 24 septembre.
Le Monde
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