mercredi 6 janvier 2010

« Le Moment unipolaire et l’ère Obama » : une conférence de Noam Chomsky

Le 21 septembre 2009, Noam Chomsky prenait la parole dans l’immense hall Nezahualcóyotl de l’Université Nationale Autonome du Mexique (Mexico), pour une intervention limpide. Comme personne ne s’est (pour l’instant) avisé de la traduire,Article.11 nous en propose une version francophone. Entre dégonflage du mythe Obama et mise à nu de la politique étrangère américaine, un texte aussi riche que pertinent.

Quant on se penche sur les affaires internationales, il est important de garder à l’esprit plusieurs principes considérablement répandus et utilisés. Le premier est la maxime de Thucydide : les forts agissent tel qu’ils le veulent, et les faibles souffrent tel qu’ils le doivent. Elle a un corollaire majeur : les États puissants s’appuient sur des spécialistes de l’apologie dont la tâche est de démontrer que les actions des forts sont nobles et justes et que si les faibles souffrent, c’est de leur faute. Dans l’occident contemporain, ces spécialistes sont appelés « intellectuels » et, à quelques exceptions près, ils remplissent leurs fonctions avec habilité et bonne conscience, quelle que soit l’incongruité de leurs déclarations. Cette pratique remonte aux origines de l’histoire écrite.

Un second thème directeur fut exprimé par Adam Smith. Il parlait de l’Angleterre, la plus grande puissance de son époque, mais son observation peut se généraliser. Smith observait que les « architectes principaux » de la politique anglaise étaient les marchands et les fabricants, lesquels s’assuraient que leurs intérêts personnels soient bien servis par la politique, quelles qu’en soient les conséquences néfastes sur les autres (y compris sur le peuple anglais). Les plus durement touchés étant ceux qui souffraient de la « sauvage injustice des Européens », hors de l’Europe. Smith fut l’une des rares figures de son temps à s’éloigner de la pratique consistant à décrire l’Angleterre comme un pouvoir angélique unique dans l’histoire mondiale et se consacrant avec altruisme au bien-être des barbares. On a une illustration frappante de cette pratique intellectuelle dans la personne de John Stuart Mill, l’un des intellectuels occidentaux les plus intelligents et respectés. Dans un essai classique, il expliqua ainsi que l’Angleterre devait compléter la conquête de l’Inde à de pures fins humanitaires. Il l’écrivit alors que l’Angleterre y commettait ses pires atrocités. La véritable motivation de la poursuite de cette conquête était de lui permettre d’obtenir le monopole de l’opium et d’établir l’entreprise narcotique la plus extraordinaire de toute l’histoire mondiale, ceci afin de forcer la Chine, via des navires armés et du poison, à accepter les usines britanniques qu’elle ne voulait pas.

La description de Mill est la norme culturelle. La maxime de Smith est celle de l’histoire.

Aujourd’hui, les principaux architectes politiques ne sont pas des « marchands et fabricants », mais plutôt des institutions financières et des sociétés multinationales. Il existe une version mise à jour de la maxime de Smith : la « théorie d’investissement des politiques », élaborée par l’économiste politique Thomas Ferguson, qui considère que les élections sont des occasions pour des groupes d’investisseurs de s’allier afin de contrôler l’État, fondamentalement en achetant les élections. Ferguson a démontré que cette théorie était un très bon outil pour prévoir la politique sur une longue période.

En 2008, donc, nous aurions dû anticiper le fait que les intérêts des industries financières auraient la priorité dans l’administration Obama : elles étaient ses plus gros donateurs et nombre d’entre elles préféraient Obama à McCain. On en eut très vite confirmation. Le principal hebdomadaire économique, Business Week, exulte maintenant que le secteur des assurances a gagné la bataille du système de santé et que le secteur financier, responsable de la crise actuelle, en ressort indemne et même renforcé par cet énorme renflouage public, préparant déjà le terrain pour une prochaine crise comme l’indique le rédacteur en chef.

« En 2008, nous aurions dû anticiper le fait que les intérêts des industries financières auraient la priorité dans l’administration Obama. »

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1 commentaire:

Mathieu de Castellbon a dit…

Un discours sans concession qui dresse le panorama de 60 ans de politique étrangère américaine. A lire.