jeudi 7 janvier 2010

Bastingage : La petite sirène de Copenhague dans la mirette de Christian Laborde


Ce texte est tiré de « Bastingage », chronique de Christian Laborde, écrivain, publiée chaque mois sur le site Internet de la ville de Pau.

Je n'ai plus un seul Kleenex. J'ai refilé tous mes paquets « Pocket », toutes mes boites grand format achetées à Auchan à la Petite Sirène qui, assise sur son rocher, juste au-dessus des eaux sales, pleure dans le port de Copenhague.

La Petite Sirène est l'être le plus malheureux de la terre, plus malheureuse encore que les ours polaires en équilibre sur une portion de glaçon qui fond. Les ours, elle les connaît. Elle leur avait dit : « Je vous sauverai à Copenhague. » Elle avait dit : « Je sauverai les girafes, les éléphants, les arbres, les rivières, les dauphins, les baleines... » Elle avait dit : « Je plaiderai à Copenhague la cause de la planète toute entière. » Elle comptait sur son chant, sur son réservoir infini de bulles de sons. Ah ! le chant de la Petite Sirène : aucun marin, aucun homme ne peut y résister. Elle chante et sa voix, son blues, les perles de son souffle nous entraînent « vers des fonds ultra-utérins, délicieux terrain ». Elle chante, nous devenons de minuscules Nautilus de chair et visitons, dans son sillage, les lieux les plus nacrés des océans.

Durant tout le sommet, chaque jour, chaque nuit, elle a chanté, chanté, ses petits seins pris dans les mains du vent. Elle voulait attirer l'attention de Barack Obama, et lui parler des ours, et des enfants d'Afrique qui ont de moins en moins d'eau et de plus en plus faim. Mais le Président des Etats-Unis d'Amérique qui avait un Prix Nobel de la Paix à recevoir et deux guerres à mener, n'aura prêté aucune attention aux notes qui sortaient de sa bouche marine. Elle voulait attirer l'attention des Chinois. Mais les Chinois dont les yeux sont pleins des fumées que crachent leurs usines ne l'ont même pas vue. Elle s'est efforcée de loger dans leurs oreilles ses plus beaux sons, mais dans leurs oreilles, il y a aussi de la fumée. Le Président de la République française est passé à quelques centimètres de son rocher. Alors elle a chanté tant qu'elle a pu. Mais il ne l'a pas entendue : il courait. Il était à fond. Il court et parle tous les jours, court en parlant, parle en courant. Comment pourrait-il capter un son délicat, plein de beauté et de vérité, lui qui, chaque jour, ajoute au brouhaha qui l'entoure le brouhaha qu'il fabrique?

Le Petite Sirène de Copenhague pleure sur son rocher, juste au-dessus des eaux sales. Elle avait tant de choses importantes, capitales à dire, tant d'hommes et tant d'animaux à sauver.

La Petite Sirène de Copenhague, dès que ses frêles forces reviennent, chante encore sur son rocher, juste au-dessus des eaux sales. Mais nous, comme Obama, comme les Chinois, comme le président de la République française, nous n'entendons pas son chant. Nous n'entendons rien car nous avons cessé d'être des gens de l'être. Nous sommes devenus des gens de l'avoir. Entre le chef indien Seattle, de la tribu des Duwamish, et Franklin Pierce, Président des Etats-Unis d'Amérique, nous avons choisi Franklin Pierce. En 1854, Franklin Pierce contacte le chef Seattle : il veut acheter la terre sur laquelle vit la tribu des Duwamish. Le chef Seattle lui répond ceci : « Mais comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? L'idée nous paraît étrange. Si nous ne possédons pas la fraicheur de l'air et le miroitement de l'eau, comment pouvez-vous les acheter ? Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple. Chaque aiguille de pin luisante, chaque rive sableuse, chaque clairière et chaque bourdonnement d'insecte est sacré dans le souvenir et l'expérience de mon peuple (1) »

La Petite Sirène de Copenhague est inconsolable, et moi je n'ai plus aucun Kleenex. J'essuie délicatement ses joues avec la manche de ma chemise.

Site Internet de Christian Laborde

(1) "Paroles du chef Seattle", Editions Le Grand Chardon.

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