samedi 20 février 2010

Le Nouveau Parti anticapitaliste, ou la schizophrénie en bandoulière, par Michel Onfray

Notre époque est réjouissante ! Nous avons un PCF qui ne défend plus la dictature du prolétariat, un PS qui célèbre le marché, des chrétiens qui ne croient pas dans la résurrection de la chair, des philosophes qui occupent le devant de la scène en commentant des livres qu'ils n'ont pas lus, un président de la République fasciné par Georges Bush qui ne voit que par Jaurès et Guy Môquet, quand ça n'est pas Albert Camus, un gouvernement de droite avec des ministres de gauche, des journalistes qui citent à tout bout de champ Guy Debord, des sportifs transformés en intellectuels, et autres joyeusetés de nos temps nihilistes !

A ce défilé de mode digne d'une cour des miracles, il nous faut désormais ajouter des féministes qui estiment que la maternité est le destin de toute femme, que la prostitution relève de l'exercice libre, sinon libéral, de son propre corps, que l'allaitement procure des sensations qui dispensent d'en chercher ailleurs - merci, chère Elisabeth Badinter, de résister à ce "féminisme"-là !

Désormais, il nous faudra également compter avec une femme voilée, laïque et féministe, qui défend l'avortement et la cause homosexuelle ! Cherchez l'erreur... Car le voile signifie la soumission à une religion dont la première qualité n'est pas la séparation du théologique et du politique, mais leur confusion. Une religion qui revendique la subordination de la femme à l'homme et affirme ouvertement son infériorité et la supériorité ontologique et juridique des mâles. Une religion qui n'autorise pas l'avortement, le suicide ou l'euthanasie. Une religion qui criminalise la relation homosexuelle. Nombre de sourates du Coran définissent ce champ idéologique avec une incontestable clarté.

La schizophrénie se porte ces temps-ci en bandoulière, avec affectation même. Le symbole planétaire de l'exploitation des femmes par les hommes sous régime idéologique musulman deviendrait donc l'emblème de la libération des femmes et celui de la laïcité ! Depuis quand un symbole religieux ostentatoire est-il devenu un signe de la laïcité ? Quelle étrange folie peut permettre à une femme de revendiquer le port d'un voile que toutes ses congénères vivant en pays musulman rêvent d'enlever, tout en se disant solidaire d'elles qui mènent l'exact contraire de son combat... médiatique !

Car le voile en régime médiatique signifie autre chose que dans un régime politique concret. Dans un monde où la télévision constitue le réel, ce morceau de tissu assure qu'on attirera les caméras de télévision et les polémiques. Sous l'oeil de serpent d'une caméra, voile et burqa sollicitent le cerveau reptilien et anéantissent le cortex. La télévision adore ce genre de provocation éthologique qui fait si bien tourner la machine à décerveler...

Que le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) qui a beaucoup déçu, moi le premier, en promettant l'union des gauches antilibérales sur une base mouvementiste plus que partidaire, finisse par se contenter de relooker une logique ligueuse insoucieuse de changer véritablement les choses pour ceux qui souffrent au quotidien de la brutalité libérale, n'est pas pour étonner. Car la faucille et le marteau de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), qui sur le drapeau laissent leur place au mégaphone du NPA, expriment clairement les choses : la révolution, c'est le mégaphone plus la télé.

Dans cette perspective, qui ne mange pas de pain politique et réjouit la droite au pouvoir, le voile est un formidable signifiant pour un signifié qui fait peine à voir... Inventer un voile islamique laïc, voilà la première pierre d'un édifice qui ne manquera pas de décevoir ceux qui, comme moi, croient à la nécessité d'un combat à gauche qui réactiverait vivement "Liberté, Egalité, Fraternité", certes, mais également, et surtout, "Solidarité, Laïcité, Féminisme", et qui, loin des effets de voile, comme on dit effet de manche, créerait les conditions d'une démocratie radicale aux antipodes d'une extrême gauche kantienne qui, certes, a les mains propres, mais parce qu'elle n'a pas de mains...

Michel Onfray

Source Le Monde

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