lundi 22 février 2010

Deux mythes sur le microcrédit : le marché contre la pauvreté par Georges Gloukoviezoff

Georges Gloukoviezoff est docteur en économie et spécialiste des questions d’inclusion financière des particuliers. Il est membre de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale et dirige le bureau d’étude 2G Recherche.



L’approche de Yunus pour lutter contre la pauvreté – son idéologie pour rester dans le ton du billet précédent – suppose de distribuer des microcrédits à des pauvres afin que ceux-ci puissent devenir des entrepreneurs et échapper à leur sort misérable. En d’autres termes, il s’agit de leur prêter un capital de départ, charge à eux de le faire fructifier suffisamment pour couvrir leurs coûts, rembourser leurs mensualités et dégager un revenu. Yunus est à ce point convaincu de la pertinence de cet outil qu’il voudrait faire de l’accès au microcrédit un nouveau droit de l’homme. Si la formule a l’efficacité des slogans des meilleurs publicitaires, elle en a également la superficialité.

Au-delà de la provocation volontaire de Yunus, il est utile de revenir sur les limites d’un discours largement partagé qui fait du microcrédit – qu’il se développe au Sud ou au Nord, qu’il soit à finalité professionnelle ou personnelle – l’outil par excellence de la lutte contre la pauvreté grâce au marché. L’entrée par les droits de l’homme met en exergue deux lacunes essentielles de ce raisonnement.

La confusion du moyen et de la fin

Destinée à prévenir que ne se reproduisent les atrocités connues lors de la Deuxième Guerre mondiale, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme vise à garantir la dignité humaine et donc la prévention de la pauvreté. Elle reconnaît notamment le droit à la sécurité sociale, à un niveau de vie décent, à un travail décent, au repos et aux loisirs, à l’éducation ou encore à la participation à la vie culturelle.

Le microcrédit en tant que tel n’est nullement une composante de la dignité humaine. Mal défini, mal octroyé ou mal suivi, il peut même être un facteur d’humiliation et d’appauvrissement. Tous les emprunteurs de la Grameen Bank ne sont pas sortis de la pauvreté. Pour ceux qui y sont parvenus, certains vivent comme une contrainte le fait d’être à leur compte et souhaitent pour leurs enfants un destin de salarié ou de fonctionnaire. D’autres sont seulement passés de la misère à la pauvreté. D’autres enfin ont échoué et sont aujourd’hui surendettés.

En revanche, lorsqu’il est approprié, le microcrédit peut contribuer à assurer l’effectivité des droits de l’homme en permettant l’accès à un emploi décent, à l’éducation, etc. Si l’on se place au niveau des principes, la question qui se pose est donc moins celle de l’affirmation d’un « droit au microcrédit » que du développement d’une société financièrement inclusive.

Le microcrédit peut être un moyen de lutter contre la pauvreté à condition de ne pas surestimer ses capacités et de parvenir à l’insérer de manière cohérente dans la réalité institutionnelle des territoires où il prend place. C’est là le deuxième danger du microcrédit considéré comme un droit : les excès de l’universalisme.

L’universalité du microcredit et le poids de l’idéologie

Croire que mettre un capital à disposition de personnes confrontées à la pauvreté est suffisant pour qu’elles en sortent tient lieu d’idéologie à un microcrédit reposant presque exclusivement sur l’efficacité des mécanismes marchands. Bien sûr, il est incontestable que les personnes en situation de pauvreté ont des compétences qu’elles n’ont pas la possibilité d’exprimer. En revanche, en faire de facto des entrepreneurs en puissance auxquels manquerait seulement le capital de départ, est absurde. D’une part, tous n’aspirent pas à devenir entrepreneur ou n’ont pas les compétences requises. D’autre part, il ne semble pas qu’il existe aujourd’hui un tel gisement inexploité d’activités qu’il permette le développement d’emplois décents pour toutes ces personnes. Evidemment, s’il s’agit de redévelopper les petits métiers du XIXe siècle financés par les usuriers locaux, la question se pose différent. Mais s’il est question de lutte contre la pauvreté et de droits de l’homme, le microcrédit de Yunus reposant uniquement sur le marché est assurément une réponse très imparfaite dans la France de 2010.

Au premier abord, le développement du microcrédit (professionnel ou personnel) en France laisse perplexe. En effet, à l’inverse du Bangladesh, il existe en France un Etat social et un système bancaire sans comparaison. Pourquoi dès lors, un tel outil est-il nécessaire ? Ne peut-on pas voir là un symptôme de la remise en cause simultanée des protections collectives (notamment celles organisées autour de l’emploi comme le montre Robert Castel) et de l’évolution restrictive des pratiques bancaires sous l’effet de trente années de libéralisation de leur secteur ?

Il apparaît alors qu’il est indispensable de ne pas se laisser aveugler par l’idéologie du marché salvateur. Il faut tenir compte des réalités institutionnelles pour que le microcrédit puisse contribuer aussi efficacement que possible au renforcement d’une société financièrement inclusive. À côté de la réponse qu’il apporte dans l’urgence à un besoin individuel de financement et d’accompagnement, il faut également considérer ses effets sur les causes de ces besoins. Pour ne pas être seulement « un cautère sur une jambe de bois », il doit devenir un outil pour amener les différentes parties prenantes à faire évoluer leurs pratiques afin que ces situations ne se reproduisent plus.

Cette remise en question doit concerner l’action de l’Etat notamment lorsque l’on constate que des microcrédits (personnels) sont utilisés pour faire face à des dépenses de santé. Mais elle doit aussi et surtout concerner le secteur bancaire. Pour cela, il faut privilégier le développement d’un microcrédit qui implique de manière opérationnelle les banques en collaboration avec des structures d’accompagnement comme c’est aujourd’hui le cas dans le cadre du Fonds de Cohésion Sociale. C’est par ce partenariat, à condition qu’il s’intensifie, que le microcrédit peut être un outil d’apprentissage pour les banques. Là encore l’Etat a un rôle régulateur à jouer notamment pour favoriser l’émergence d’un mode de financement des microcrédits qui n’en affecte pas la finalité en reposant sur les seuls clients. Eviter l’émergence d’une Grameen Bank à la française conduisant ses emprunteurs à la « marginalité bancaire » et à des taux d’intérêt usuraires est à ce prix.

C’est en favorisant l’émergence de réponses de droit commun que le microcrédit sera, en France, une véritable innovation sociale contribuant à développer l’inclusion financière et ainsi, même modestement, à l’effectivité des droits de l’homme.

Georges Gloukoviezoff


Ses travaux sont disponibles ICI


source Alternatives-économiques.fr

4 commentaires:

Jean-Pierre CANOT a dit…

LES LIMITES DE LA MICROFINANCE, L’EXEMPLE DE L’AGRICULTURE

La microfinance tend à devenir la panacée à l’ensemble des problèmes de développement, notamment agricole, au point que tous les projets se rapportant à ce dernier ne s’articulent qu’autour du pivot central « crédit » à condition que celui–ci corresponde aux principes de la microfinance.
Dans le début des années 70, Mohamad Yunus développait au Bengladesh le concept de la Grameen Bank. Il partait du principe qu’une somme minime est souvent suffisante pour permettre le démarrage d’une activité, particulièrement dans les campagnes.
Le concept reposait sur les principes ancestraux du mutualisme, les mêmes repris chez nous avec le succès que l’on sait à la fin du 19ème siècle. Ces principes s’appliquaient au Bengladesh à une population homogène dans sa pauvreté absolue.
Grandes furent les difficultés de Mohamad Yunus pour obtenir un appui des bailleurs de fonds internationaux, Banque Mondiale et Fonds Monétaire International considérant que cette initiative au ras des pâquerettes ne pouvait s’inscrire dans le contexte de la mondialisation ou du développement dit durable.
Longtemps décrié et combattu, le système devait il y a peu, non seulement être remis à l’honneur, mais devenir la véritable tarte à la crème de la Banque Mondiale qui n’avait pas manqué au passage de le dénaturer. On ne parle plus désormais en matière de développement agricole dans les pays émergents que de microprojets financés par la microfinance dérivée directement de l’initiative de Mohamad Yunus.
La crise actuelle où le système bancaire tend à limiter les crédits, est l’occasion pour certains de considérer que le microcrédit est une des solutions, sinon la solution, à cette crise.
Dans la recherche de solutions de financement pour les plus démunis que le système bancaire traditionnel maintient à l’écart de ses interventions, on oublie systématiquement le modèle coopératif qui il y a plus de cent ans apportait la réponse à l’agriculture française notamment.
À suivre...

Jean-Pierre CANOT a dit…

suite...

Muhammad YUNUS et la Grameen Bank du Bengladesh n’ont pourtant quoi qu’on en dise rien inventé du tout, ce qui n’enlève d’ailleurs rien à leur mérite.
La Grammeen Bank, et tous les modèles de microfinance qui en découlent, ne sont que la première étape du modèle coopératif inventé par les Babyloniens. Après l’expérience des pionniers de Rochdale ou des producteurs de micocoulier dans le Gard en France, le système a été il y a cent ans à la base des modèles européens de la coopération agricole, notamment le Crédit Agricole français, que l’on oublie systématiquement dans les programmes de développement au profit du seul modèle de Muhammad YUNUS, prix Nobel de la Paix, porté désormais aux nues.
Le problème est que malgré tous ses mérites, le modèle mis en œuvre dans cette seule première étape, ne marche pas – à l’échelle de l’économie globale – et ne marchera jamais, pas plus d’ailleurs que les modèles coopératifs européens pris dans leur forme actuelle et que nous nous acharnons à développer en vain depuis les indépendances.
Il faut pour mobiliser le maximum de ressource bancaire vers le secteur agricole sous forme de prêts, bancariser les populations rurales de façon à ce que tous les flux financiers résultant de leur activité – essentielle dans les pays en développement, il s’agit du secteur primaire – restent dans ce secteur et ne s’évadent pas vers la banque commerciale. Celle–ci dans la meilleure des hypothèses fera semblant d’aider l’agriculture en avançant des fonds aux organismes de microfinance qu’elle crée la plupart du temps sous forme de filiales.
Ceci est vrai aussi pour les autres secteurs et pour nos pays en ce qui concerne les laissés pour compte du système bancaire traditionnel.
À suivre...

Jean-Pierre CANOT a dit…

suite...

Ceci est vrai aussi pour les autres secteurs et pour nos pays en ce qui concerne les laissés pour compte du système bancaire traditionnel.
On ne saurait trop insister sur cette nécessité de bancarisation déjà citée des populations les plus pauvres
– C’est une véritable alphabétisation, économique bancaire et comptable qui leur permet d’appréhender des notions simples, ce que ne permet pas la manipulation de la seule monnaie fiduciaire.

– C’est une garantie supplémentaire pour le prêteur que l’emprunteur dispose sur un compte qui enregistre tous ses mouvements financiers, de la ressource nécessaire, résultant de l’activité financée, pour rembourser le crédit.

Ceci implique bien entendu, et ce n’est possible que dans le cadre coopératif, que le principe essentiel d’exclusivisme soit bien respecté, c’est–à–dire que le sociétaire ne puisse pas, au risque d’exclusion du système, ouvrir des comptes et contracter des emprunts dans plusieurs établissements.
Il faut rappeler encore une fois que la dégradation de tous les modèles coopératifs a pour origine principale le non respect de ce principe d’exclusivisme, qui a d’ailleurs été supprimé ou n’a pas été repris dans toutes les lois coopératives mises en place dans les pays en développement, ce qui conduit irrémédiablement à l’échec du système.
– C’est une garantie de création monétaire réelle. Le crédit anticipe en effet la création monétaire par production de biens ou de services.

Celui qui distribue le crédit doit donc s’assurer que le prêt est bien utilisé pour l’objet financé et que son montant ne dépasse pas ( il doit même rester inférieur) la valeur estimée du produit de l’activité financée.
Il est évident que la simple surveillance des mouvements du compte, à condition là aussi que le principe d’exclusivisme soit appliqué et respecté, permet de vérifier que l’anticipation de création monétaire est parfaitement justifiée.
Ce point est d’une cuisante actualité dans la crise économique que nous vivons et qui résulte de dérives bancaires où, dans le cadre d’une économie virtuelle généralisée et mondialisée, les crédits consentis pour des spéculations de tous ordres ont conduit à la création de fausse monnaie avec les conséquences dramatiques que nous n’avons pas fini de vivre.

Cette mobilisation indispensable de la ressource de base qui devra d’ailleurs être complétée notamment pour les investissements longs ne peut se faire qu’au travers du modèle coopératif qui a fait ses preuves depuis des siècles.
Encore faudrait–il que ce modèle fut et restât l’authentique, et ne soit pas remplacé par les ersatz infâmes que l’on a vu se développer tant en Afrique que dans les pays communistes et qui ont conduit à la ruine et à l’abandon de ce modèle coopératif .

À suivre...

Jean-Pierre CANOT a dit…

suite et fin...

Ceci ne pourra se faire que par la mise en place de lois et règlements propres à la Coopération, agricole notamment, et qui en retiennent impérativement les authentiques principes de base.
La bancarisation des plus pauvres est de surcroît une des conditions essentielles pour que le système s’il est vraiment d’inspiration coopérative soit construit et fonctionne à partir de la base : les sociétaires ; et il y a bien là une des faiblesses de la microfinance telle qu’elle est conçue jusqu’à présent comme un système construit « d’en bas » et géré « d’en haut ».

Un problème supplémentaire est que l’on entend appliquer les principes de la microfinance d’un intérêt indiscutable par ailleurs à des populations hétérogènes dans leur pauvreté relative.
On se retrouve donc en fait dans une agriculture à deux vitesses : l’une de type industriel, comme chez nous, qui doit se soumettre aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, l’autre de type social qui concerne la très grande majorité des populations rurales.
On notera au passage que dans le second cas les résultats des actions menées pour atteindre des objectifs sociaux sont mesurés selon des critères uniquement économiques.
Le financement est réalisé pour le premier type, la minorité, par les banques commerciales traditionnelles, pour le second par des systèmes complexes, notamment mutuelles d’épargne et de crédit qui fleurissent à qui mieux mieux sur le plan local, sans aucune coordination nationale, et qui finalement n’arrivent à concerner qu’une « minorité de la majorité » : les plus pauvres parmi les pauvres, les autres devant se débrouiller comme ils peuvent en recourant notamment au crédit informel.
Le résultat désastreux est double :
La ressource d’épargne et de dépôts – qui est une ressource bon marché – en excédent localement ne peut être transférée directement et à prix coûtant chez ceux où elle manque et transite par le système bancaire où elle est, soit utilisée au prix fort au financement des autres secteurs de l’économie, soit réacheminée toujours au prix fort vers les structures de microfinance momentanément déficitaires en ressource.
Ce système encore une fois à deux vitesses, au delà du fait qu’il accroît les déséquilibres liés à deux types de systèmes d’exploitation extrêmes : agriculture de subsistance et agriculture industrielle, a l’inconvénient d’isoler les plus pauvres, les empêchant comme on vient de le voir de profiter de la solidarité au sein de leur groupe même en ce qui concerne la ressource bancaire.

C’est bien au niveau de cette notion de solidarité que se trouve la solution au problème du financement du secteur primaire.
Autant il serait vain en effet de vouloir faire jouer la solidarité du monde agricole en faveur des plus déshérités en isolant ces derniers dans des ghettos, autant il est possible de la mettre en œuvre efficacement dans des systèmes qui intègrent tous les acteurs de ce secteur, ceux momentanément déshérités bénéficiant de l’assistance du groupe.

Jean-Pierre Canot 29 janvier 2010
Extraits de « Apprends-nous plutôt à pêcher ! »
http://lafrancetoutfoutlecamp.blogspot.com/
http://ah-la-microfinance.blogspot.com/
http://ah-le-developpement-durable.blogspot.com/
http://reviensilssontdevenusfous.blogspot.com/
http://reviensilssontdevenusfous.blogs.sudouest.com