(...)Un temps, regrettant mes anciens collègues, j’allais déjeuner avec eux au restaurant d’entreprise. Je n’entendais que lamentations, annonces de mutations non voulues, obligations de performances, tableaux d’activités à remplir, fiches d’évaluation individuelles, objectifs chiffrés, affectations de techniciens supérieurs à la vente de téléphones portables, craintes pour leurs primes, bon vouloir du N+1 pour l’avancement, détestation des décideurs. Accablement et rêve de retraite.
Il me souvient aussi de ces cadres sup se croyant intouchables, jamais une grève, pas syndiqués, très impliqués, à qui la direction annonçait un beau jour que leur poste était supprimé, qu’ils devaient se trouver un « point de chute » et qui vivaient alors des mois entiers d’inactivité sur le lieu de travail, niés, humiliés. Chacun d’eux s’employait fébrilement à « se vendre », tremblant qu’on lui impose un poste à Hazebrouck ou à Triffouilly-Lez-Engelure, charmante localité qui n’offrirait pas d’emploi à son épouse et de lycée à ses enfants. Partir ? Mourir ?
J’ai connu un cadre supérieur de 55 ans, chargé de famille, bien décidé à travailler encore 5 ans, acharné à donner satisfaction jusqu’à sacrifier des soirées et des week-ends, qui accompagna tous les changements sans lever un sourcil, qui ne broncha pas quand les premières victimes se plaignirent et que son chef convoqua un vendredi pour lui dire qu’il avait le droit de partir en préretraite et que ça serait bien qu’il le fasse. Sur l’air de : « me suis-je bien fait comprendre ? ». Viré ! Fissa ! Car son allégeance ne suffisait pas à effacer l’essentiel : sur un listing, il était un pion sans visage, sans famille, sans âme et sans chair, une « unité » gonflant un total.
France Télécom aujourd’hui, c’est vingt ans d’incompétence hautaine, sûre d’elle et dominatrice, de cruauté, de morgue, d’ignorance crasse et revendiquée dans la gestion de femmes et d’hommes qui étaient fiers d’œuvrer pour le public. Pour le pays. Au bonheur de préserver le tissu rural en s’enfonçant dans la montagne pour aller installer un téléphone à « la petite mémé de l’Ariège » qui enlève la housse protégeant l’appareil quand les enfants pensent à l’appeler de la ville, s’est substituée la tâche roublarde de fourguer des contrats incompréhensibles, des forfaits téléphoniques non souhaités à de pauvres gens dont le pouvoir d’achat est en chute libre.
Parfois, des agents de France Télécom se lavent de ces souillures en se jetant dans un torrent. Didier Lombard, le PDG, peut bloquer quelques-uns des engrenages meurtriers, embaucher des psychologues, dire à tous qu’il les aime. De son vivant, il ne réparera pas les dégâts. Par effet d’hystérésis, le paquebot dont les machines sont stoppées continue sur sa lancée. Pour l’empêcher d’échouer, pour éviter le choc qui jettera des poignées de passagers par-dessus le bastingage, il faudrait faire machines arrière, toutes.
Et cela ne se fera pas, foi de Nicolas Sarkozy ! Foi de Martine Aubry ! Foi de privatiseurs ! Foi d’Union européenne ! Foi de Traité de Lisbonne ! Foi de Concurrence libre et non faussée ! Foi de CAC 40 ! Foi de FMI !
Ah ! qu’accède aux commandes une vraie gauche décidée à tenir tête aux susnommés, une gauche ayant dans son programme le respect de chacun, la reconnaissance des services rendus à la population et un chouïa d’amour, si le mot n’est pas devenu choquant dans les conseils d’administration et dans les ministères.
Maxime VIVAS
Ex cadre de France Télécom, ex ergonome européen®, Maxime Vivas a été concepteur de formations en ergonomie et sécurité.
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2 commentaires:
"On se suicide plutôt moins à France Télécom qu'ailleurs."
René Padieu président de la commission de déontologie de la société française de statistique, dans La Croix, le 20 octobre.
INTOX. Y a-t-il moins de suicides à France Télécom qu’au sein de la population active en général ? Et si oui, la polémique concernant cette entreprise est-elle encore justifiée ? Embrayant la plume à de nombreux sites internet, René Padieu, inspecteur général honoraire de l’Insee et président de la commission de déontologie de la société française de statistique, remettait à l’endroit, dans le journal la Croix du 20 octobre, des statistiques malmenées par des journalistes un peu légers à son goût. «Depuis quelques semaines, les médias parlent d’une vague de suicides à France Télécom : 24 en dix-neuf mois. On dénombre chaque nouveau cas : le nombre est donc important ! Pourtant, personne ne semble penser à vérifier en quoi il est élevé. Un journaliste consciencieux recoupe son information. […] En 2007, on avait pour la population d’âge actif (de 20 ans à 60 ans) un taux de 19,6 suicides pour 100 000. Vingt-quatre suicides en dix-neuf mois [à France Télécom], cela fait 15 sur une année. L’entreprise compte à peu près 100 000 employés. Conclusion : on se suicide plutôt moins à France Télécom qu’ailleurs.»
DESINTOX. Première chose : toute comparaison nécessite de définir un périmètre. Il s’agit, dans le cas présent, de celui du travail. Comparer le nombre de suicides à France Télécom avec une autre population plus large, implique donc de comparer la population salariée de France Télécom avec la «population active occupée» en général. Or René Padieu compare la population salariée de France Télécom avec la «population d’âge actif», ce qui est sensiblement différent. En effet, la population d’âge actif est celle qui travaille ou qui est susceptible de pouvoir travailler du fait de son âge. Cette catégorie inclut donc les actifs occupés, les gens retirés du marché du travail, mais aussi les chômeurs. Or si pour ces derniers, les statistiques nationales concernant leur taux de suicide n’existent pas, les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet (1), à l’instar de nombre de leurs confrères, estiment que «ce sont les inactifs [entendre ici les chômeurs, ndlr], autres que retraités, qui détiennent aujourd’hui le record du suicide». Comparer le taux de suicides des salariés de France Télécom avec celui d’une population d’âge actif, - chômeurs compris - est donc pour le moins étrange. D’autant que la tranche retenue par René Padieu pour définir la population d’âge actif - de 20 ans à 60 ans - semble restrictive, l’éventail généralement retenu s’étalant de 15 ans à 64 ans.
Mais dans ce débat sur le suicide au travail, la question n’est pas tant de comparer le taux de suicides dans une entreprise avec le taux de suicide en général, ou même de la seule population active occupée, mais d’essayer d’isoler les suicides commis pour raisons professionnelles, puis de construire des indicateurs.
La difficulté, à ce stade, réside dans la définition d’un taux national de suicides en lien avec le travail, permettant de comparer ensuite avec telle ou telle entreprise. Problème : cette donnée n’existe pas. Ce qui explique aussi pourquoi tout le monde patauge sur le sujet. A défaut d’étude nationale, le seul chiffre exploitable est une extrapolation d’une étude régionale menée sur le suicide au travail en 2003 sur la Basse-Normandie (cf. INRS). Cette extrapolation (380 suicides annuels considérés comme liés au travail en France) conduit, au sein de la population active occupée, à un taux national de suicides pour raisons professionnelles de 1,6 pour 100 000. Ce taux, évidemment (et heureusement) est inférieur au taux de suicides de la population en général (situé entre 16 et 20 pour 100 000) ou de la population d’âge actif (19,6 pour 100 000). Et pour cause : le travail n’est pas (encore ?) la première raison de mettre fin à ses jours.
Ce taux national de suicides en lien avec le travail (1,6 pour 100 000) ne peut, pour autant, être directement comparé au taux de suicide des salariés de France Télécom (14 pour 100 000). Car parmi les 25 suicidés de l’entreprise de téléphonie depuis février 2008, tous ne sont pas, évidemment, liés au travail. L’exercice, là encore, est délicat, mais en étudiant la liste des 25 décès de France Télécom mentionnant le contexte et les éventuelles lettres laissées par les victimes, 11 au moins de ces suicides apparaissent comme liés au travail. Ce qui conduit à un taux annuel de suicides pour raisons professionnelles chez France Télécom de 6 pour 100 000. Au final, la comparaison de 1,6 suicide lié au travail pour 100 000 dans la population active occupée et des 6 pour 100 000 chez France Télécom semble bien révéler un taux de suicides pour raisons professionnelles quatre fois supérieur chez l’opérateur téléphonique.
source libération Économie 23/10/2009
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