vendredi 18 avril 2008

Travailler plus pour...

Petite citation à la sauce Nietzsche sur une certaine vision du travail...

Avec toujours en arrière fond la question centrale du : "Pour qui et pour quoi travaillons nous ?"...

"Dans la glorification du «travail», dans les infatigables discours sur la «bénédiction» du travail, je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd'hui, à la vue du travail — on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir —, qu'un tel travail constitue la meilleure des polices, qu'il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l'amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l'on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l'on adore aujourd'hui la sécurité comme la divinité suprême".

Nietzsche, Aurore, livre troisième ; aphorisme 173

2 commentaires:

Mathieu de Castellbon a dit…

Merci Nicolas pour cette tribune, qui va sans doute nous permettre de "travailler" sur l'idéologie Travail.


Peut-être pourrions nous commencer par lire ces quelques lignes de Mona Chollet issues de son dernier bouquin "Rêves de droite - défaire l'imaginaire sarkozyste -"


Il y a beaucoup à dire, d’abord, sur la validité de ce modèle du bonheur par le fric : n’étant pas — probablement en raison d’un traumatisme d’enfance — fascinés par le bling-bling, nombreux sont ceux, en France ou ailleurs, qui continuent de cultiver des idéaux de vie différents, sans qu’on puisse les accuser de fausses pudeurs ou d’hypocrisie ; on y reviendra. Beaucoup à dire, aussi, sur l’individualisme forcené de la success story ; un individualisme qui triomphe aujourd’hui par K.-O. Chacun étant conditionné par le matraquage médiatique à se penser entouré de flemmards, de crétins apathiques, de parasites et de voyous qui ne rêvent que de le saigner à blanc, au propre comme au figuré, il ne peut envisager la réussite que sous une forme strictement individuelle : ne pas chercher à changer les règles, et, pour cela, à s’allier avec d’autres, mais seulement à tirer son épingle du jeu. Faute d’un idéal alternatif, toute dénonciation des espoirs illusoires que l’on fait miroiter aux foules est donc inaudible. Essayez d’en formuler une, et aussitôt les soupçons planeront sur vous : vous cherchez à tirer les autres vers le bas parce que vous êtes vous-même un raté, vous êtes prisonnier d’un vieux fonds puritain qui vous fait condamner les innocents plaisirs de la vie, vous êtes un suppôt de l’assistanat, vous avez la nostalgie de l’égalitarisme soviétique, vous n’aimez pas les têtes qui dépassent, etc. Ce réflexe conditionné est si bien installé que, malgré ces précisions, je sais devoir me préparer stoïquement à ce qu’il se trouve au moins un olibrius, lorsque ce texte sera publié, pour bramer : « Et alors, qu’est-ce qu’il y a de mal à vouloir faire quelque chose de sa vie ? »

Ce désir légitime, et cette image flatteuse d’ambition, d’énergie et de dynamisme, la droite les instrumentalise de multiples façons — en particulier pour encourager les salariés à produire toujours plus de richesses, qui retombent pourtant de moins en moins dans leur pochenote. Elle y parvient par une ambiguïté sciemment entretenue autour de la notion de « travail ». Un seul mot sert à désigner deux choses différentes : il y a les activités que l’on exerce parce qu’on les a choisies, parce qu’à travers elles on a le sentiment d’avancer et de s’épanouir ; dans certains cas, elles peuvent valoir une reconnaissance sociale qui se traduit en espèces sonnantes et trébuchantes, mais, dans tous les cas, ce sont des activités dotées d’un horizon, qui offrent des perspectives de progression et donnent un minimum de sens à la vie. Et puis il y a le boulot qu’on prend parce que c’est celui-là qui se présente — on a déjà de la chance quand il s’en présente un —, et qu’il faut bien gagner sa croûte et nourrir sa famille. Qu’il s’agisse d’un travail utile ou, comme c’est plus souvent le cas aujourd’hui, absurde, voire nuisible pour tout le monde sauf pour les actionnaires, qu’on le pratique dans des conditions matérielles et relationnelles correctes ou infernales, on l’occupe uniquement, ou avant tout, par nécessité économique. Les gratifications symboliques et financières y sont le plus souvent limitées, et, pour un nombre non négligeable de travailleurs, qui conjuguent pénibilité et pauvreté laborieuse, elles sont nullesnote. Les individus qui ont le privilège d’être payés pour ce qu’ils aiment le mieux faire, et de pouvoir ainsi confondre les deux sortes de travail, sont une petite minorité : la plupart d’entre eux réservent la première sorte d’activités à leurs loisirs.

C’est ce que feint d’ignorer la ministre de l’Économie de Nicolas Sarkozy, Christine Lagarde. Lors de son discours culte de présentation du projet de loi « en faveur de l’emploi, du travail et du pouvoir d’achat » (défiscalisation des heures supplémentaires, abaissement du « bouclier fiscal » à 50 % du revenu, crédit d’impôts sur les intérêts d’emprunts pour les propriétaires, abaissement des droits de succession, etc.), le 10 juillet 2007 à l’Assemblée nationale, elle martelait : « Le travail est une chose naturelle, essentielle à l’homme, et non un pis-aller destiné à subvenir aux nécessités quotidiennes. […] Ce qui compte dans le travail, c’est la possibilité qu’il donne de se surpasser. » Elle citait Confucius : « Choisissez un travail que vous aimez, et vous n’aurez pas à travailler un seul jour. » Le Canard enchaîné ironisait : « Toutes ces subtilités ont échappé à la femme de ménage ou à la caissière de supermarchénote… » De même qu’aux salariés suicidés de Renault et PSA Peugeot-Citroënnote.

Pour un gouvernement dévoué à servir les intérêts des classes possédantes, persuader une population qui se ruine la santé pour des clopinettes, tout en voyant l’essentiel des fruits de ce travail lui échapper, qu’elle poursuit un grand idéal, c’est évidemment tout bénéfice. Dans sa présentation d’une loi qui, profitant avant tout aux employeurs et aux foyers les plus riches (le bouclier fiscal devrait permettre à moins de 13 000 contribuables de se voir restituer, à eux seuls, 583 millions d’eurosnote), aura pour effet de creuser encore davantage les inégalités, la ministre livre un émouvant plaidoyer : « Cessons donc d’opposer les riches et les pauvres, comme si la société était irrémédiablement divisée en deux clans ! » La tirade prend toute sa saveur lorsqu’on se rappelle que le précédent abaissement du bouclier fiscal, décidé par le gouvernement Raffarin et entré en vigueur le 1er janvier 2007, a par exemple eu pour conséquence que Léone Meyer, petite-fille du fondateur des Galeries Lafayette, « a touché un chèque de plus de 7 millions d’euros correspondant au trop-perçu concernant ses impôts de 2006note ». Mais, pas de souci : tous ces cadeaux directs faits aux plus riches ne sont destinés qu’à permettre que ceux-ci, qui sont de bons citoyens, voire de grands philanthropes, et qui, de surcroît, ont mérité leur fortune (dans le cas de Léone Meyer, c’est particulièrement flagrant), nous les rendent au centuple ; on ne sait pas encore très bien comment ils vont s’y prendre, mais Christine Lagarde nous l’assure.

En attendant, elle brocarde « cette tradition [française] qui fait du travail une servitude », et s’insurge : « Comment ne pas voir les préjugés aristocratiques qui nourrissent une telle idée ! » Heureusement, « la remise à l’honneur du travail, pour laquelle les Français se sont si clairement prononcés, fait accomplir à la France un véritable tournant démocratique ». Tout est bien qui finit bien, la cause du peuple a triomphé, et elle peut passer à la présentation des réductions d’impôts sur les intérêts d’emprunts. Qu’elle illustre aussi sec par un exemple apparemment banal à ses yeux : « Ainsi, un couple marié avec deux enfants, propriétaire d’un bien immobilier de 800 000 euros… », faisant hurler les députés communistes et républicains. Le Canard enchaîné rappelle que la rémunération annuelle d’un avocat associé dans un cabinet comme Baker & McKenzie, que la ministre a dirigé, va « du million au million et demi de dollars ». Ce qui explique qu’elle soit « un peu déconnectée du terrain ». Sans blague.

La suite ici http://www.editions-zones.fr/spip.php?page=lyberplayer&id_article=59

Nicolas Loustalot a dit…

ça c'est du pavé livré en bloc ! Tu fais pas semblant quand tu travailles toi !

Pour en revenir au débat, c'est sûr que le raisonnement (travailler plus pour gagner plus)s'arrête à la finalité de "gagner plus"...or c'est sûr, on pourrait renverser la logique, pour ceux en tout cas qui ne seraient pas traumatisés à l'idée de travailler moins (!), et se donner comme autre slogan possible : "Penser plus pour dépenser moins (quels sont vraiment mes besoins ?, comment les assouvir sans consommer ?, Comment produire soi même, s'échanger, mutualiser ?), pour travailler moins, pour avoir plus de temps, pour avoir plus de liens...etc...