Sociologue de formation, béarnais d'origine, Régis Barbau vient d'achever une étude de six mois commandée par le syndicat ELB. Il a produit un document sur l'utilité des petites fermes en analysant leurs atouts et impacts sur le territoire ainsi que les éléments qui les pénalise. Il nous résume son travail...
Quelle est la problématique sur laquelle tu as travaillé et pourquoi ce choix ?
La question de s’intéresser aux petites fermes est venue au sein de la commission sociale d’ELB. Après les crises de 2008 et 2009, la trésorerie des petites exploitations avait pris une gifle. L’importante perte de revenu faisait dire aux paysans « on souffre tous de la même maladie mais les petites fermes davantage ». Ces paysans d’ELB ont réussi à obtenir de la MSA des exonérations de cotisation sociale. C’est à cette occasion que l’argumentaire de la petite ferme a été mis en avant. La MSA en a demandé une définition. D’où le besoin de clarifier la question.
Cela a été ton travail…C’était l’un des objectifs du projet monté par AFI, l’Association de Formation et d’Information avec le groupe de paysans. Il s’est basé sur trois axes : définir ce qu’était la petite exploitation, analyser ce qu’elles apportent au territoire, parce que qui dit petites exploitations dit exploitations nombreuses, donc impact économique, social et environnemental sur le territoire, et enfin analyser l’environnement institutionnel et le contexte dans lequel évoluent les petites fermes, ce qui leur permet de se maintenir et ce qui les pénalise.
Comment as-tu mené ce chantier ?
La méthodologie a été simple : un groupe de 15 paysans était au cœur du projet, il s’est réuni une quinzaine de fois. A chaque fois, il fallait faire exprimer leur vécu, leur réalité, et l’étayer avec des éléments issus de travaux déjà menés sur le sujet. C’était un alliage entre expertise paysanne et expertise scientifique. Le but étant de produire un argumentaire de défense des petites exploitations, un objectif militant pour aller rencontrer ensuite les institutions.
Quelles réponses avez-vous apportées à vos questionnements ?
Il est difficile de définir la petite exploitation car il y a une grande diversité de situation. C’est ce que disent aussi tous les travaux sur le sujet. Au travers des enquêtes sociologiques nationales et des témoignages des paysans du groupe, on peut dire néanmoins que les petits paysans ont souvent des valeurs et des pratiques en commun, comme l’attachement à l’héritage culturel, le sentiment de proximité avec la nature, l’autonomie ou la liberté par rapport aux filières. Ça fait qu’ils ont un impact particulier sur le territoire. Par exemple, de façon indéniable, beaucoup de petites exploitations sur un territoire (c’est souvent le cas en montagne et en zone défavorisée) signifie le maintien de la vie sur ces territoires en difficulté démographique, cela crée de l’emploi agricole et des emplois induits, on veut garder son voisin pour garder une cohésion sociale, maintenir les services…
Cela se vérifie au Pays Basque…Le rôle joué par la dynamique locale est important. Tous les dispositifs tels que les AOC, Idoki, les actions du GFA etc incitent à être nombreux et favorisent les petites exploitations qui y sont fédérées. Le groupe sent ici une dynamique collective qui leur permet de faire de la valeur ajoutée, d’être partenaire et non concurrent.
Le profil agricole de ces petites fermes est également différent ?
Souvent les petites exploitations gèrent leur structure en jouant sur les marges, en minimisant les charges et maximisant la qualité. Elles emploient donc moins d’intrants. Les études manquent sur ce point mais c’est logique. Le capital est également plus restreint, cet investissement de départ moindre permet une plus grande transmissibilité de ces fermes. C’est un point que l’on est en train d’étayer de façon chiffrée. Tout comme on peut montrer qu’elles ne sont pas forcément moins productives : des rapports de la Banque Mondiale et de l’Inra le disent : la plus grande productivité des grandes exploitations vient du fait qu’elles reçoivent plus d’aides. Il n’y a pas à rougir d’être petit.
Ton travail a également souligné un impact environnemental…
En effet, du point de vue du paysage et de la biodiversité, les petites exploitations entretiennent la moindre parcelle car elles en ont besoin. C’est important pour l’ouverture de l’espace et la préservation du paysage. La tendance générale est à l’abandon des parcelles les moins productives pour intensifier les plus proches de l’exploitation. Les petites fermes ne peuvent pas se le permettre.
Beaucoup d’atouts mais la réalité des petites fermes est pourtant très dure…Oui. D’abord l’environnement social joue. Les petits se font souvent narguer par ceux qui ont une production bien plus importante, ils passent pour des ringards car ils ont souvent un matériel ancien. Cela conduit souvent à décourager les enfants de s’installer. L’amont et l’aval défavorisent aussi les petites : les fournisseurs font les prix de gros aux gros. Enfin, les investissements pour se mettre aux normes demandent proportionnellement plus d’effort aux petits. Ceux qui mettent en œuvre des stratégies de spécialisation dans les produits de qualité, la transformation, ont plus de chances de s’en sortir. Pour cela, il faut un bon capital de départ, économique bien sûr mais aussi social et matrimonial car c’est souvent la famille et les amis qui donnent un coup de main, aident à tisser le réseau de clients, etc.
Les facteurs externes interviennent aussi ?
Oui, les politiques européennes (aides du premier pilier) jouent beaucoup. L’encouragement à l’extensification entraîne la quête de terres que l’on trouve chez les plus fragiles. Les aides du second pilier ont aussi un effet pervers car pour être dans les clous de la PHAE, de l’ICHN, on va aussi chercher à s’agrandir. Enfin il y a l’échelle des structures et des institutions agricoles qui ont une certaine représentation de ce que doit être une exploitation viable. Même au Pays Basque, où il y a beaucoup de petites exploitations, on voit que la lutte est permanente pour réaffirmer que les petites exploitations peuvent être viables sans forcément faire des investissements colossaux. Il y a une sélection implicite des exploitations légitimes.
Quelles vont être les conséquences concrètes de cette étude ?
L’étude démontre que les petites exploitations représentent un mode de développement beaucoup plus durable, plus éthique et il y a beaucoup de chose à défendre là. Il faut donc formuler des propositions. C’est ce qui reste à faire au groupe de paysans. Par exemple, vis-à-vis de la MSA : le calcul des cotisations sociales est perçu comme très inégalitaire, il se base sur un plafond minimum de 800 SMIC horaires alors que le revenu est loin d’arriver à ce niveau sur les petites exploitations (le revenu moyen des exploitations au forfait en 2007 était de 5727€). Il faudra aussi proposer des mesures tant au niveau européen qu’à celui des collectivités locales. Il existe des mesures de développement rural intéressantes en Rhône Alpes ou Nord Pas de Calais. Il faudra taper à toutes les portes pour sortir de la seule vision de l’agriculture et insister davantage sur le concept de multifonctionnalité.
Personnellement, qu’est ce qui t’as le plus marqué durant ces six mois en Pays Basque ?
J’ai été très agréablement surpris par la mobilisation qu’il y a ici. Les paysans ont été très assidus aux réunions alors que le travail était parfois fastidieux. J’ai vu la vie d’un syndicat de l’intérieur. C’est quelque chose de très organisé, de très fédéré, ce que je n’avais jamais vu chez moi. Il n’y a pas beaucoup d’actions collectives en vallée d’Ossau. C’est ce qui m’a le plus marqué. Je ne sais pas si les paysans d’ici se rendent bien compte de cette chance. Si on mesure bien ce n’est pas banal du tout. Certains diront « ah oui, c’est le Pays Basque ». Mais ce n’est pas la magie de la culture basque qui fait cela, mais plutôt le fait que des gens savent faire ensemble.
interview par Maritxu Lopepe
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