jeudi 15 octobre 2009

François Hollande: Nicolas Sarkozy a perdu contact avec la réalité

A quel moment de son mandat un président de la République perd-il le contact avec la réalité? Et le rapport à l'opinion? C'est en effet une loi générale sous la Ve République. Elle n'a guère connu d'exceptions. Les plus illustres de nos chefs d'Etat y ont, chacun leur tour, cédé.

Charles de Gaulle, moins que les autres, car la démocratie plébiscitaire, qui fondait sa pratique institutionnelle, fonctionnait comme une corde de rappel. Elle ne l'a néanmoins pas prévenu. Et l'indifférence avec laquelle il a traité l'exaspération de la jeunesse a conduit à Mai 68. On se souvient de ce voyage ahurissant à Bucarest pour rencontrer Ceaucescu alors même que Paris voyait s'élever les premières barricades. Mais il s'agissait plus en ces circonstances d'un manque de lucidité que d'une marque de mépris.

Ses successeurs ont levé, chacun à leur manière, les voiles de la pudeur et ont au cours de leur mandat pris une distance plus ou moins longue avec leurs concitoyens. Valéry Giscard d'Estaing avait beau, à rythmes réguliers, s'inviter à dîner dans une famille français, il partait à la chasse en Afrique, entretenait des relations troubles avec les moins recommandables des chefs d'Etat de ce continent et renversait militairement ceux qui en faisaient trop ou pas assez, sans mesurer les effets dévastateurs de ces aventures africaines. Elles ont fini par lui coûter cher.

François Mitterrand après sa réélection de 1988 se crut lui aussi à l'abri du jugement de ses compatriotes. Et pris donc ses aises: nomination de proches, défense au nom de l'amitié de personnages sulfureux et culte du secret. Jacques Chirac eut encore moins de scrupules: l'indifférence aux affaires, qui l'assiégeaient se conjuguaient avec le renforcement de son immunité pénale. Mais c'était moins de l'aveuglement que de la nécessité.

Nicolas Sarkozy voulait rompre avec ces traditions, ces méthodes, ces comportements. Il entendait en finir avec les «rois fainéants». C'était Bonaparte revenant du pont d'Arcole et des voyages glorieux en Egypte. Son Brumaire n'était pas une révolution de Velours mais l'avènement d'une ère nouvelle. Elle devait consacrer l'impartialité de l'Etat, l'exemplarité de l'exécutif, la responsabilité politique, mais le temps des pro-consuls républicains ne dure jamais longtemps. Il débouche inexorablement sur l'empire républicain. Nous y sommes. Voilà la famille régnante et son impressionnant cortège: les favoris, les courtisans, les soumis, les zélateurs, les obligés, les repentis, les transfuges, les prises de guerre mais aussi les conseillers bavards, les sous-ministres, les pressentis, les recalés, les copains de toujours, les nouveaux amis.

Ces derniers jours, les familiers de la Cour rapportent sous le sceau du secret, confidences et anecdotes: le chef serait devenu inabordable, inaccessible, qu'il se moquerait des «qu'en dira-t-on», de la presse de caniveau, de l'opposition sans projet, des procès sans cause. Voilà le décrochage.

Telle est donc la fatalité qui pèse sur la Ve République. Elle voudrait que chaque locataire de l'Eglise s'émancipe progressivement de toute contrainte et traite par la condescendance toute remarque sur son comportement. Cette malédiction n'explique pas tout. Nicolas Sarkozy a fait franchir une nouvelle étape à la présidentialisation du régime. Sans doute la dernière. Elle conduit à une double rupture: avec ses prédécesseurs dans un premier temps, avec les citoyens dans un second. Comme si tout était possible! Il n'est pas le premier chef d'Etat à se hausser sur un piédestal. Mais il est le premier à le faire avec la certitude sur son bon droit, lequel en l'occurrence se confond avec son bon plaisir.

François Hollande

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