Texte de l'appel
"Les murs menacent tout le monde, de l¹un et l¹autre côté de leur obscurité. C¹est la relation à l¹Autre (à tout L¹Autre, dans ses présences animales, végétales, environnementales, culturelles et humaines) qui nous indique la partie la plus haute, la plus honorable, la plus enrichissante de nous-mêmes. Nous demandons que toute les forces humaines, d¹Afrique d¹Asie, des Amériques, d¹Europe, que tous les peuples sans États, tous les «Républicains», tous les tenants des «Droits de l¹Homme», que tous les artistes, toute autorité citoyenne ou de bonne volonté, élèvent par toutes les formes possibles, une protestation contre ce mur-ministère qui tente de nous accommoder au pire, de nous habituer à l¹insupportable, de nous faire fréquenter, en silence, jusqu¹au risque de la complicité, l¹inadmissible.
Tout le contraire de la beauté."
LES MURS. Une approche des hasards et de la nécessité de l’idée d’identité.
Un peuple ou un individu peuvent être attentifs au mouvement de leur identité, mais ne peuvent en décider par avance, au moyen de préceptes et de postulats. On ne saurait gérer un ministère de l’identité. Sinon la vie de la collectivité deviendrait une mécanique, son avenir aseptisé, rendu infertile par des régies fixes, comme dans une expérience de laboratoire. C’est que l’identité est d’abord un être-dans-le-monde, ainsi que disent les philosophes, un risque avant tout, qu’il faut courir, et qu’elle fournit ainsi au rapport avec l’Autre et avec ce monde, en même temps qu’elle résulte du rapport…
Sapiens est par définition un migrant, émigrant, immigrant. Il a essaimé comme cela, pris le monde comme cela et, comme cela, il a traversé les déserts et les neiges, les monts et les abîmes, quitté les famines pour suivre le boire et le manger. Il n’est frontière qu’on n’outrepasse. Cela se vérifie sur des millions d’années. Ce le sera jusqu’au bout (encore plus dans les bouleversements climatiques qui s’annoncent) et aucun de ces murs qui se dressent tout partout, sous des prétextes divers, hier à Berlin et aujourd’hui en Palestine ou dans le Sud des États-Unis, ou dans la législation des pays riches, ne saurait endiguer cette vérité simple : que le Tout-Monde est la maison de tous – Kay tout moune –, qu’il appartient à tous et que son équilibre passe par l’équilibre de tous…
Les murs qui se construisent aujourd’hui (au prétexte de terrorisme ou d’immigration sauvage ou de dieu préférable) ne se dressent pas entre des civilisations, des cultures ou des identités, mais entre des pauvretés et des surabondances, des ivresses opulentes mais inquiètes et des asphyxies sèches. Donc : entre des réalités qu’une politique mondiale, dotée des institutions adéquates saurait atténuer, voire résoudre.
Extrait du texte manifeste d'Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau "Quant les murs tombent - L'identité nationale hors la loi"
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